RFI, what else ?
Par Sébastien Duhamel
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi cela veut dire beaucoup : être journaliste à Radio France Internationale, c’est un honneur et un héritage.
Certes, l’histoire de la radio fut parfois sombre – Jacqueline Papet l’a retracée ici-même. Pourtant la radio du monde a su évoluer avec son temps et reflète à présent des valeurs fondamentales à mes yeux : démocratie, droits humains, liberté d’information…

Des confrères aussi talentueux qu’expérimentés ont donné leur vie pour défendre ces valeurs. Johanne Sutton, Christian Baldensperger dit Jean Hélène, Ghislaine Dupont, Claude Verlon… Leurs noms sont gravés sur les murs des studios et des salles de rédaction, ils résonnent en mon for intérieur de jeune journaliste depuis le début de ma carrière. Oui, « jeune journaliste », j’ose encore le prétendre car cela remonte à peine à dix ans.
2015, voilà le point de départ. Un stage puis un contrat d’été au service économie, après un diplôme du Cuej (Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme) de Strasbourg.
« Raconter le monde et sa marche quotidienne, pour un gamin issu d’un milieu social plutôt habitué à subir ce monde, c’était une revanche et un rêve »
« La RFI », j’y étais enfin ! Quelle fierté pour moi, le natif du Pas-de-Calais ayant grandi loin de la sphère journalistique, dans un milieu social compliqué. Accompagné dès l’enfance par l’aide publique et associative – des bourses d’études aux Restos du Cœur – travailler dans un média de service public sonnait comme une évidence.
Élevé et formé grâce à la collectivité, je me devais de mettre ce que j’avais appris au service de cette même collectivité. En même temps, raconter le monde et sa marche quotidienne, pour un gamin issu d’un milieu social plutôt habitué à subir ce monde, c’était une revanche et un rêve. Pour autant, je n’avais jamais imaginé la richesse culturelle que j’allais rencontrer au siège d’Issy-les-Moulineaux.
Une tour de Babel
A mes yeux, RFI, c’est avant tout une ouverture sur le monde et une diversité que vous ne trouverez dans aucune autre radio française. Une tour de Babel moderne, haute de huit étages, où l’on peut entendre de très nombreuses langues. Mon premier souvenir est un mot anodin prononcé en Russe dans le hall, une langue que j’apprenais par amour à ce moment-là : « Увидимся ( à plus tard ) ».
Le deuxième souvenir est le sourire bienveillant de feu Stanislas Ndayshimié. A l’heure du déjeuner, il me convia d’emblée à sa table et répondit à toutes mes questions. J’aurais pu l’écouter des heures durant me raconter les histoires du pays aux mille et une collines. C’était chez lui, le Burundi, le pays de ceux qui parlent le kirundi. Une terre de nouveau ensanglantée à cette époque par une crise électorale meurtrière.

Plus tard, Stan me présentera d’ailleurs son compatriote Esdras Ndikumana, notre collègue du service Afrique qui connait lui aussi, dans sa chair, le prix de l’information et du métier de journaliste. Un professionnel que j’ai la chance de côtoyer encore à ce jour, et auquel je porte une grande estime. Ses anecdotes, son témoignage sur la détention et les sévices subis sont réellement saisissants ; j’ai compris d’autant mieux, dès ces instants, l’importance de la mission de notre radio.
Des années de galère
Le chemin pour intégrer la radio du monde est cependant long et ardu. A titre personnel, plus de sept années de précarité suivront ces premiers pas avant d’en être membre de façon permanente. Plus de sept années de piges, c’est-à-dire de missions ponctuelles consistant à assurer des remplacements de journalistes, au gré des besoins et dans différents médias.
« Pourquoi s’accrocher si longtemps ? », demanderont certains. Simplement parce que ce métier allume une flamme qu’il est parfois difficile de contenir. Une profession stimulante qui livre de bonnes doses d’adrénaline. Une dose, c’est bien ça, et je l’ai ressenti dès ma première mission.
Un travail sollicité par Jean-Pierre Boris, alors présentateur de l’émission d’économie Eco d’ici, Eco d’ailleurs. « J’avais simplement besoin de quelqu’un à ce moment-là et tu étais là », me confiera-t-il bien des années plus tard à l’évocation de ce souvenir.

Or à mes yeux, cette première tâche fut importante. Les premières sont toujours importantes. Il s’agissait de réaliser l’interview d’un confrère parisien, cosignataire d’un article paru dans les colonnes d’un média d’investigation célèbre. Une enquête sur les intérêts financiers d’un clan présidentiel d’Afrique centrale.
Jean-Pierre souhaitait ensuite proposer un droit de réponse à un haut fonctionnaire de l’État concerné, responsable des finances publiques et futur ministre. Une personnalité du régime, déjà très proche de la famille présidentielle incriminée. Il s’agissait surtout de le placer face à ses responsabilités.
« Pas fair-play »
L’entretien battait son plein en studio quand vint le temps de la diffusion de mon interview… et des révélations. En régie, d’où je suivais les échanges, un conseiller presse se mit immédiatement en colère. Un cousin du haut fonctionnaire, arborant fièrement vêtements de luxe sur le dos, chaîne clinquante autour du cou, montre hors de prix au poignet et quatre smartphones dernier cri dans les mains.
Tandis que la notion de biens mal acquis s’éclairait d’une lumière nouvelle, il s’époumonait et répétait en boucle : « Ce n’est pas fair-play ça, ce n’est pas bien ! Ce n’est pas fair-play ça, ce n’est pas bien ! ».
La cible était touchée. Son mentor bafouilla une réponse convenue au micro, tandis qu’il reprenait de plus belle : « Hollande accepte peut-être d’être critiqué, mais chez nous c’est pas comme ça ! ». Le ton était donné.
C’est donc cela aussi RFI : une radio au service non pas des puissants mais de ses auditeurs, quels que soient leurs nationalités ou leurs pays d’écoute. Un média qui s’attèle inlassablement à relayer au plus grand nombre, au-delà les frontières, la réalité des faits. Aussi dérangeants ou banals soient-ils.
Qu’ils concernent un État africain, les États-Unis, la France ou toute autre nation. C’est certain, la tâche est loin d’être aisée. Il suffit d’observer les courants et les antagonismes idéologiques actuels, charriés entre autres par les « faits alternatifs ».
Cependant voilà notre héritage, à nous, qui incarnons aujourd’hui la Radio du Monde. Au risque de froisser encore à l’avenir quelques notables oreilles…
L’auteur

Sébastien Duhamel
Né en avril 1988 à Boulogne sur Mer
Etudes de droit et de sciences politiques
Diplômé du CUEJ en 2015
Premiers pas à RFI en 2015
Présentateur des journaux Afrique matin depuis janvier 2024
Départ à la retraite prévu vers… 2060 !








































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