2009, la grande grève
par Addala Benraad
Comment oublier cette date du 12 mai 2009 ? C’était il y a seize ans déjà mais je m’en souviens comme si c’était hier. Déléguée syndicale du SNJ-CGT, j’avais connu des grèves mais pas d’une telle ampleur. Il n’y en avait jamais eu de si longue depuis 1968 dans l’audiovisuel public. Tout a concouru à rendre ce mouvement exceptionnel : la dynamique des organisations syndicales, la participation d’un grand nombre de salariés y compris ceux habituellement les plus réfractaires à toute mobilisation, le soutien sans faille de nombreuses personnalités politiques qui ont relayé nos revendications à l’Assemblée nationale et au Sénat…
En fait, le combat contre ce funeste plan social qui prévoyait la suppression de 206 postes sur 1.040 et la disparition de six rédactions en langue étrangères (l’albanais, l’allemand, le laotien, le polonais, le serbo-croate et le turc), n’a pas commencé ce jour-là. Dès son annonce en Comité d’entreprise le 15 janvier 2009 par le PDG Alain de Pouzilhac et la Directrice Générale Christine Ockrent, les organisations syndicales ont lancé des appels à la grève ponctuels et organisé une grande manifestation dans les rues de Paris sans obtenir gain de cause.

Nous étions sous le choc, il fallait réagir.
Une mission de service public
Notre mission consistait à sauver RFI face à une équipe dirigeante qui ne nous répondait que par le dédain et une extrême brutalité. Christine Ockrent avait qualifié RFI de « morgue dont les cadavres ne voulaient pas quitter leurs tiroirs ». Avec l’intersyndicale FO, SNJ, SNJ-CGT, SNRT-CGT, nous nous sommes très vite lancés dans la bataille judiciaire. Difficile de dire combien d’heures nous avons passées dans le bureau de nos avocats spécialistes du droit du travail, parfois très tard le soir, avec Maria Afonso, Patrice Chevalier, Françoise Delignon, Nina Desesquelle, Elisa Drago, Julio Feo, Sabine Mellet, Roland Quemeneur, Catherine Rolland pour parler des procédures à mettre en place.
Une conférence de presse animée par les avocats, à la bourse du Travail, avait été organisée à la hâte pour informer les personnels de la nécessité et des modalités de l’action en justice. Cette démarche a fait naître beaucoup d’espoir chez les collègues avec lesquels nous nous retrouvions, à chaque audience, sur les bancs des salles imposantes du Palais de justice. Mais, face à la détermination de la direction à vouloir amputer RFI d’une grande partie de ses forces vives, et en attendant l’issue des procès, il nous fallait occuper le terrain de manière spectaculaire pour donner un large écho à notre mouvement.

C’est de là qu’est née l’idée d’une grève à durée indéterminée qui démarrerait à une date symbolique : le 12 mai, date de l’ouverture du Festival de Cannes 2009, le Festival international du cinéma le plus médiatisé avec des milliers de journalistes venus du monde entier. Comme tous les ans, RFI avait prévu d’y envoyer une équipe importante de techniciens et de journalistes de toutes les rédactions.
Au festival de Cannes
En démarrant le mouvement précisément ce 12 mai, notre but était de perturber au maximum la diffusion de la production sur les antennes. Et l’objectif a été atteint : la grève a été massivement suivie. A la maison de la radio, à Paris, exaspérés par le comportement des dirigeants qui refusaient le dialogue avec l’intersyndicale, certains salariés n’ont pas hésité à former des piquets de grève devant les studios pour dissuader les managers de remplacer les grévistes. L’ambiance était si tendue que certains ont failli en venir aux mains.
Tout cela n’était pas du goût de nos dirigeants qui furent interpelés par la presse sur le sujet alors qu’accompagnés de la directrice de RFI, Geneviève Goetzinger, ils se prélassaient sur la Croisette au lieu de négocier le préavis de grève. Cette attitude désinvolte n’a fait qu’augmenter la colère et le soutien au mouvement.
Pendant des semaines, pour contraindre la direction à négocier, nous nous sommes battus sur tous les fronts à la fois pour maintenir la mobilisation et pour interpeler les élus et les ministères de tutelle. Chaque jour, c’était un véritable marathon entre l’écriture des courriers, les rendez-vous avec les représentants du gouvernement et les élus, les déjeuners sur le pouce à la cantine et ensuite l’organisation des Assemblées générales. C’était devenu un rituel : les syndicalistes retrouvaient les salariés au rez-de-chaussée de la Maison de la Radio dans le hall A et s’installaient sur l’escalier qui dominait ce vaste espace pour que leurs voix portent.
Mais il y avait toujours une certaine appréhension. Si nous étions convaincus de la légitimité de notre mouvement, il fallait aussi que les salariés de RFI y adhèrent. Leur présence en AG était primordiale car après les avoir informés de l’avancée ou non des négociations, ils devaient se prononcer sur la poursuite du mouvement. Petite anecdote, à chaque AG la direction, qui aurait été mal reçue si elle avait fait acte de présence, mandatait un ou deux salariés proches d’elle pour nous compter. Ils étaient facilement repérables, c’étaient les seuls qui ne participaient pas au vote à main levée. Pas de chance pour eux, les collègues étaient nombreux et de tous les corps de métier : administratifs, techniciens, journalistes…
Le rituel des AG
Cette présence massive aux AG a été une véritable force face à la direction. Cela a aussi suscité l’intérêt des autres médias et permis une importante couverture médiatique à commencer par France Culture, France Info et France Inter. Non seulement, ces radios du service public se trouvaient sur place à la Maison de la Radio mais de plus, leurs personnels redoutaient de subir plus tard le même dégraissage d’effectifs que celui contre lequel nous nous battions.
Une fois votée la reconduction de la grève, beaucoup de salariés restaient avec les représentants syndicaux pour discuter de la suite. C’est ainsi que cette grève a fait tomber le « mur » qui séparait traditionnellement les journalistes de la rédaction en français de ceux des rédactions en langues étrangères. Ainsi est né un moment de cohésion et de fraternité entre ces deux secteurs. Du jamais vu !

Encore aujourd’hui, je m’étonne de l’enthousiasme et de l’énergie qu’ils mettaient à proposer mais aussi à mettre sur pied de nouvelles actions avec nous. C’est ainsi qu’en soutien aux salariés de RFI, fut organisé un pique-nique géant sur l’Ile-aux-cygnes, sur la Seine, juste en face de la Maison de la radio. Dans une ambiance festive et sous un soleil de plomb, des parlementaires, des députés européens et des auditeurs nous ont même rejoints !
D’autres initiatives ont suivi comme le film documentaire « 206 » soit le nombre de suppressions d’emplois envisagé par la direction. Il a été tourné à la Bourse du travail. Il s’agissait de parler du plan social mais aussi de le mettre en scène. Pour l’illustrer, chacun défilait avec, accrochée au dos, une affiche avec un numéro de 1 à 206.
Autre événement qui a marqué les esprits, la radio éphémère installée sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, deux mois après le début du mouvement, montée en 48 heures grâce à la participation de dizaines de salariés de RFI – journalistes, producteurs, réalisateurs et techniciens. Pendant six heures trente, ont ainsi été entendues plusieurs dizaines de voix venant de France mais aussi des cinq continents. Des personnalités politiques, écrivains, universitaires, artistes, sportifs ou encore anonymes qui ont tenu à exprimer leur attachement à notre radio et à exprimer leur soutien. Un événement exceptionnel qui nous a fait chaud au cœur et décuplé notre combativité.
Le soutien de Bernard Lavilliers
Tout comme cette soirée à la salle des Fêtes de la Mairie du 11ème arrondissement de Paris. Patrick Bloche, le maire, fervent défenseur de notre cause, nous a autorisés à y organiser un débat avec la projection du film « 206 » et un concert en présence de plusieurs artistes autour de Bernard Lavilliers. Nous espérions la présence d’une quarantaine de personnes mais nous nous sommes retrouvés à plus de trois cents, et ce, après deux mois de grève sans interruption !

Pour tenir financièrement, nous avions lancé une caisse de grève alimentée par des dons (qui ont été très importants) ainsi que par la vente de tee-shirts marqués du slogan « A RFI L’ETAT LICENCIE – RFI RIPOSTE ». Après un mois de pause pour cause de vacances d’été, nous avons repris le mouvement le 1er septembre. Ensuite, des préavis de grève furent régulièrement déposés mais suivis en discontinu jusqu’en 2012.
Si nos actions n’ont pas permis de bloquer le plan social, la fusion forcée MCD Doualiya/RFI/France 24 et le déménagement des personnels à Issy-les-Moulineaux, nous avons réussi toutefois à maintenir deux rédactions distinctes RFI et France 24, à transformer ce qui devait à l’origine être des licenciements secs en plan de départs volontaires, et à y inclure tous les journalistes y compris les collègues des rédactions en langue étrangère dans une seule et même catégorie professionnelle. Ces départs, c’était un pan de RFI qui s’effondrait, comme si on avait voulu effacer son histoire. Un véritable crève-cœur pour moi.
Arrivée à RFI en 1981, je connaissais tous les collègues qui avaient accepté de partir. Le jour où, en Comité d’Entreprise, les noms de chacun ont été égrenés par la Direction des Ressources humaines, j’avais les larmes aux yeux et je n’en n’ai pas dormi de la nuit. Pour écrire ce témoignage, j’ai dû me plonger seize ans en arrière sur une période douloureuse pour RFI mais tellement forte en émotion. Impossible de citer tout le monde, mais j’ai une pensée pour tous ceux qui ont participé aux négociations avec la direction, ceux qui ont collaboré de près ou de loin aux diverses actions et tous ceux qui ont soutenu le mouvement.. Pour moi, cette période restera la plus éprouvante bataille syndicale que j’ai menée mais également une très belle aventure humaine.
Pour avoir une idée de ce qui s’est passé tout au long de ces trois années, je vous invite à aller sur ce site. Ce blog été créé et animé par des salariés pour les salariés à l’annonce du Plan social en janvier 2009. Il a aussi servi de « passerelle » avec l’extérieur, notamment la presse, les auditeurs et tous ceux qui attachaient de l’intérêt à notre combat. Vous y trouverez des tracts et des communiqués des organisations syndicales mais aussi des témoignages. Un grand bravo et un grand merci aux photographes, vidéastes et à tous ceux qui ont contribué à faire vivre ce Blog et à en faire les archives de ce mouvement.
Je dédie ce témoignage à mon camarade Jean-François Téaldi, journaliste et à cette époque, secrétaire général du SNJ-CGT de France Télévision, fervent défenseur de l’audiovisuel public qui a été un soutien sans faille de ce mouvement. Il nous a quitté le 13 mars 2025.

L’auteure

Addala Benraad
Né en 1961 à Roanne
Dactylo de presse à RFI de 1981 à 1988
Journaliste à RFI de 1989 à 2023








































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