20 janvier 1975, il est 6 heures, il fait encore nuit…
par Guy Riboreau
Nous sommes le 20 janvier 1975. Il est 6 heures du matin, il fait encore nuit. A la Maison de la Radio, le studio 158 envoie sur les antennes la première émission d’une nouvelle chaîne de radio : RFI. Après l’indicatif de chaîne diffusé pour la première fois, j’ai le grand honneur et la lourde tâche d’animer la toute première tranche de la chaîne et d’annoncer au micro « Bonjour. Une nouvelle station est née ; elle s’appelle Radio France Internationale ».
Je précise qu’elle sera animée par trois équipes de journalistes qui se succèderont et qu’elle aura pour objet de traiter l’actualité internationale avec la rigueur et la diversité que peut attendre l’auditeur francophone d’Afrique. Puisque telle est la destination des ondes courtes qui couvrent alors cette seule région du monde, tous les émetteurs ayant été tournés vers le continent africain.
Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre d’un tel lancement, c’est la modestie des moyens mis en œuvre pour l’occasion qui frappe. Pas de mobilisation des médias, pas de photographe ; en interne, s’il y a bien heureusement deux opérateurs en cabine pour commander les micros et deux magnétos à bande, pas de réalisateur. Un nombre d’enregistreurs insuffisant pour garder un souvenir sonore de l’événement. C’est dans la discrétion et l’extrême pauvreté des moyens que la France a lancé sa chaîne internationale.
L’équipe du matin rassemblée autour de Fouad Benhalla a pourtant bien travaillé depuis le début de l’année 1975 pour préparer ce démarrage. Avec Jacqueline Papet, Anne Toulouse, Pierre Delmas, Roland Domergue, Marcel Soubrier, et notre assistante Edwige Munoz, nous avons bâti une grille qui court de 6h00 à 11h00, planifié des rendez-vous : journaux, entretiens, reportages, plages musicales. Seule une petite tranche de 45 minutes dans la matinée en relais de France-Inter échappe à notre responsabilité !
L’équipe vient d’horizons professionnels divers au sein de la DAEC (Direction des affaires extérieures et de la Coopération) de l’ORTF. Quelques-uns ont peu d’expérience de la radio ayant surtout rédigé des chroniques écrites. Ils ont presque tous un statut de journaliste à l’ORTF.
Pour ma part, je suis alors un oxymore vivant : « pigiste permanent », payé sur la base d’un modeste forfait mensuel. Venu dans les bagages de l’OCORA (Office de Coopération Radiophonique) rattaché à l’ORTF le 1er janvier 1969, j’ai la chance d’avoir pu animer ensuite pendant un an, avec une petite équipe, un magazine culturel d’une heure, « Afrique-Inter », en direct du studio 159 de la Maison de la Radio, le soir du lundi au vendredi inclus. Beaucoup d’invités prestigieux (Manu Dibango, Claude Nougaro, Francis Bebey, Yves Simon, des jazzmen comme Art Blakey et ses Jazz messengers, entre autres), des reportages et des chroniques (dont celle de Catherine Ruelle sur le cinéma qu’on retrouvera sur RFI), et des papiers d’humeur sur les spectacles et les livres. Cette expérience-là me sera bien utile pour contribuer à faire vivre RFI avec tous les professionnels rescapés de la purge giscardienne de 1974.
Des journées interminables
L’équipe du matin est arrivée à la Maison de la radio à 4h00. Nous allons devoir nous habituer à cet horaire matinal qui, la lourde charge de travail aidant, a tendance à se prolonger jusqu’en milieu d’après-midi. Car il faut tout inventer et utiliser des outils impensables aujourd’hui car rendus obsolètes par la numérisation des techniques.
Les nouvelles des agences nous parviennent sur les télescripteurs dans une petite pièce dédiée. Il faut s’y rendre constamment pour découper les dépêches imprimées en plusieurs exemplaires à partir de rouleaux de papier à renouveler. Pas d’informatique, rien que du papier. Pendant la diffusion d’un journal, il faut nécessairement qu‘une personne aille voir les télescripteurs afin d’actualiser éventuellement les informations données en direct. Ce sera plus tard l’un des rôles de Raymond Pinçon devenu responsable du secrétariat de rédaction.
Pour le son, c’est encore le règne du « bobino » de bande magnétique qu’il convient de « monter » ciseaux et rouleau de scotch en main sur une petite réglette. Les sons auront été réalisés la veille sur un bon vieux Nagra ou dateront du jour. Une fois « montés », ils viendront s’insérer dans le corps des journaux dont le texte est tapé à la machine à écrire (un pool dactylographique sera mis en place seulement un peu plus tard). L’improvisation, la débrouillardise et la recherche constante d’une certaine rigueur dans le choix et le traitement des informations sont alors les mots d’ordre de l’équipe.
Avec le recul, on se demande comment nous avons pu, jour après jour, créer une chaîne de radio qui si vite pu trouver son auditoire. La créativité de l’équipe était impressionnante, boostée par les premiers échos venus d’Afrique.
Derrière les postes de radio captant les ondes courtes venues de France, des auditoires individuels et collectifs se créaient dans les villes et les villages pour suivre « la RFI ». Le courrier en témoignait. J’ai encore des enveloppes de lettres adressées à « Monsieur Guili Bolo, la radio à Paris » qui nous parvenaient malgré l’imprécision quant au destinataire… Merci la Poste !
La masse de travail était telle qu’on avait l’impression qu’on ne quittait la Maison de la Radio que pour aller s’effondrer dans la chambre de son domicile en attendant la sonnerie du réveil à 3h00 du matin. Une vie difficile qui, pour ma part, a duré plus de deux ans.
Mais nous étions conscients de l’importance de notre mission. Simplement, face au manque de moyens, il a fallu longtemps batailler avec le Ministère de Affaires étrangères qui finançait RFI pour que cette chaîne sorte de l’amateurisme même créatif.
Comment j’ai été manipulé
Ce fut un combat long et difficile. D’abord en interne car RFI était le cadet des soucis des responsables de l’ORTF. Face à France-Inter, France-Musique, France-Culture, la petite RFI ne pesait pas lourd. Les moyens humains, matériels et techniques nous étaient comptés. Obtenir des locaux, des postes de journalistes et de techniciens relevait d’une lutte permanente. Il aura fallu bien des rapports, quelques grèves, de la pression syndicale mais surtout l’arrivée d’Hervé Bourges bien plus tard, en 1982, pour que, progressivement, la chaîne soit un peu mieux dotée et que son rôle soit affirmé.
De plus, seul le projet de chaîne Afrique en français (sauf une heure en anglais) avait survécu aux sévères coupes giscardiennes de 1974. Car pour ceux qui s’intéressaient à la diffusion de radios à l’international, il était évident que RFI faisait piètre figure face à la concurrence des grandes radios étrangères. La BBC, Voice of America, la Deutsche Welle, Radio Moscou, Radio Pékin, étaient très présentes sur les ondes reflétant les vues et prises de position de leurs pays respectifs.

TDF (Télédiffusion de France), créée également en 1975, relayait RFI à partir des ses émetteurs d’Allouis et d’Issoudun. Les ondes courtes étaient alors le seul moyen de toucher des pays lointains en véhiculant traitement de l’actualité et propagande. La France possédait à priori un capital-confiance que n’avaient guère la radio des Soviétiques, des Chinois ou des Américains. Pour une Afrique francophone frustrée de ne pas disposer de radios très crédibles, l’existence de RFI comblait un manque. C’était pour cela, entre autres motivations, que notre ministère des Affaires Etrangères finançait son existence.
Mais, dans ce contexte, les journalistes de RFI jouaient une partie difficile. Comment exercer son métier avec la rigueur et la déontologie indispensables quand le bailleur de fonds – le ministère – peut intervenir pour peser sur le traitement de l’actualité ?
A titre d’exemple, j’ai, sans le savoir, été manipulé quand le directeur de RFI de l’époque, Albert Aycard, le soir du 20 septembre 1979 est venu me demander, alors que j’étais devenu responsable des journaux du soir, de présenter moi-même le dernier flash à 22h25 en annonçant qu’il se passait des événements importants en Centrafrique et qu’on en saurait plus le lendemain. Une demande anodine en apparence qui palliait le manque de dépêches venant de Bangui.
Mais, nous l’avons appris plus tard, ma petite phrase en fin de flash était le feu vert donné via les ondes courtes par le gouvernement français au déclenchement sur l’aéroport de Bangui de l’opération Barracuda ! Renversement de Bokassa le lendemain 21 septembre…
Je n’ai jamais digéré la manipulation.
L’auteur

Guy Riboreau
Né en 1939 à Tours
Journaliste à l’OCORA (1967-1974)
Journaliste à RFI de 1975 à 2004
Présentateur (1975-1977)
Production magazine culture puis Carrefour (1977-1983)
Rédacteur en chef de MFI (1984-1993)
Lancement et direction du Service de formation internationale (1993-2004)











































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