Cinquante étoiles
par Alejandro Valente
Janvier 2025. Ça y est, RFI a cinquante ans.
« J’ai cinquante ans et je n’ai rien vu », disait Erik Satie. Depuis le mirador exceptionnel qu’est la radio du monde, nous avons en revanche beaucoup vu, beaucoup entendu, beaucoup scruté la planète et parfois même nous avons participé à l’histoire. La petite qui dessine la grande. Et nous avons envie de la mettre par écrit pour qu’on ne l’oublie pas, pour qu’elle serve de passage de témoin à celles et ceux qui ont pris notre suite…

Par souci de transparence, j’aimerais d’abord vous dire de quoi je parle quand je dis « nous ».
Nous sommes quatre, pour le moment, à faire partie d’un comité éditorial qui ne dit pas son nom. Notre QG se trouve dans un café de la place de la Bastille. Autour de la table il y a, pour commencer, Jacqueline Papet, toujours aussi menue, douce et souriante. Et surtout incontournable. Elle se souvient de tout, elle connaît tout le monde, elle déborde d’idées. Sans elle, rien ne se ferait.
A ses côtés, Jean-Pierre Boris prend bien plus de place, surtout quand il se met à mouliner des bras quand il parle. Si JP était footballeur, on dirait de lui qu’il est polyvalent, tant il est capable de jouer à tous les postes. A RFI, il est passé partout ou presque. Une qualité rare qui lui a permis de rencontrer beaucoup de monde.
Plus loin, Hervé Guillemot, toujours aussi moustachu, tranchant comme le metteur en scène qu’il est, en impose avec sa belle voix et son regard perçant. Quand il veut, on ne voit que lui. Mais il ne veut pas toujours !
Et puis, il y a moi. Le « jeunot » de la bande.
Le plan B
Nous avons quelques atouts, dont celui d’avoir fêté il y a longtemps nos cinquante ans, ce qui nous permettra de dire bien souvent, au gré de nos souvenirs, « j’y étais ». Rares sont ceux qui ont travaillé à RFI à ne pas avoir connu au moins un de nous quatre. Nous avons également en commun l’envie de faire quelque chose de marquant pour ces cinquante ans. En revanche, nous ne sommes pas irréprochables en matière de parité : trois garçons, une fille, on aurait pu faire mieux. Cela dit, Jacqueline ayant des idées pour trois, nous avons des circonstances atténuantes.
Ceux qui suivent la page RFI infiniment nous ont entendu réfléchir à voix haute sur la meilleure manière de célébrer les 50 ans de RFI. Nous avons envisagé un livre collectif plein d’histoires vécues. Nous comptions sur le soutien actif de RFI pour mener à bien ce projet, mais l’actuelle direction, confrontée à une période complexe et intense, bien qu’intéressée, a préféré temporiser. Alors, nous avons sorti un plan B consistant à publier, tout au long de 2025, les mêmes histoires mais sous la forme d’un feuilleton sur internet avec toujours dans la mire l’ambition d’en faire un livre.
Que ce soit clair, il ne s’agit pas de raconter l’histoire de RFI avec un grand H. Plutôt de petites histoires vécues dont la somme offrirait un portrait très vivant du premier demi-siècle de vie de notre radio. Un peu comme ces petits ruisseaux qui font les grandes rivières.
Mais quelles histoires ?
Il faut qu’elles soient suffisamment variées pour refléter toute la diversité de RFI. Il doit y avoir les rédactions françaises et en langues, mais aussi les services techniques qui ont dû se réinventer sans cesse au fur et à mesure des révolutions technologiques que nous avons connues, ou encore les administrations, la formation, la communication. Il faudrait y retrouver nos grands drames intimes, nos envoyés spéciaux qui ne sont jamais revenus. Et puis toutes ces guerres vaillamment couvertes par nos équipes, de la Yougoslavie à l’Irak, du Golfe à, aujourd’hui encore, l’Ukraine, le Liban, le Soudan, la RDC, la Syrie, Gaza. Ainsi que toutes ces dates à jamais gravées dans nos mémoires et intensément traitées dans nos antennes, du 11 septembre 2001 au 13 novembre 2015, de la victoire de la gauche le 10 mai 1981 à la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989, et tant d’autres, comme le génocide rwandais en 1994. Ou encore la première victoire des Bleus en Coupe du monde de foot le 12 juillet 1998; la fin de l’apartheid le 30 juin 1991. Sans oublier les grandes grèves qui ont marqué les premières années de RFI, ou les grandes réformes, comme le passage au tout info, la création du site internet ou le « mariage » avec France 24. Enfin, parler de ces magazines qui ont fait le succès de RFI et du rôle toujours proéminent d’une Afrique sans cesse scrutée.
Bref, une matière infinie.
Pourquoi 50 ?
Alors, pourquoi seulement 50 récits pour raconter tout ça ?
D’abord parce que 50 histoires pour 50 ans, reconnaissons qu’il y a comme une idée là-dedans.
Ensuite, parce qu’une année ça n’a que 52 semaines. Mais il faut en enlever une avec cette introduction pour laquelle j’ai été désigné par mes trois camarades. Et une autre avec le chapitre dédié à la « préhistoire » de RFI. Car nos pionniers de 1975 n’avaient peut-être pas pleinement conscience de commencer une grande histoire, plutôt celle de poursuivre une aventure entamée 44 ans plus tôt sous l’étiquette inconfortable de Poste colonial. Mais laissons notre Jacqueline nous raconter tout ça.
Du coup, il ne reste plus que cinquante semaines pour boucler nos récits sans déborder sur 2026.
A ces bonnes raisons, j’ajouterai une troisième, plus personnelle. Depuis toujours, je pense que le chiffre 50 est celui qui s’approche le plus de l’infini…
Je m’explique. Il faut que vous essayiez d’imaginer le petit garçon que j’étais au début des années soixante passant ses étés dans un petit village posé au bord de l’Océan Atlantique, au sud de la province de Buenos Aires, dans ce bout du monde où le destin m’avait fait naître.
A la nuit tombée, nous aimions parfois descendre sur la plage immense et déserte qui s’étendait devant chez nous, éclairée à peine par la lune et les étoiles. Assis en haut d’une dune, nous écoutions en silence le bruit des vagues tout en admirant le spectacle fabuleux du ciel de l’hémisphère sud déployé devant nos yeux.
Un soir, j’ai posé à mon père une question qui me brûlait les lèvres: « Papa, est-ce qu’on a une idée du nombre d’étoiles qu’il y a dans le ciel ? ». A ma grande surprise, sans se défiler, mon père m’a aussitôt donné la réponse: « Cinquante ».
Je sais, racontée comme ça, cette histoire n’a aucun sens…
Permettez-moi de la corriger en vous donnant la réponse de mon père en v.o., c’est à dire en espagnol : « Cincuenta ».
Il faudrait encore tenir compte de l’accent argentin qui transforme le c espagnol en s. Ce qui nous donne : « Sin cuenta” ». Autrement dit, « sans compte ». C’était évidemment la bonne réponse !
Rendez-vous en 2075…
Place donc à ces cinquante récits qui vont nous accompagner toute cette année et qui vont réveiller, chez ceux qui ont passé une partie de leur vie à RFI, plein de souvenirs.
Et les plus jeunes, ceux qui commencent tout juste à bâtir la RFI de son deuxième demi-siècle, ils trouveront peut-être dans ces histoires des réponses à quelques questions existentielles : Qui sommes-nous ? D’où venons nous ? Pourquoi RFI est un média si différent de tous les autres ? Pourquoi je tiens si fort à y travailler ?
Qui sait, soyons optimistes, certains d’entre eux seront probablement encore là un jour lointain (2075 !) pour souffler les cent bougies de RFI. Ils auront alors, j’ose le croire, une petite pensée pour nous et l’envie d’écrire à leur tour cinquante nouvelles histoires…
L’auteur

Alejandro Valente
Né en 1957 en Argentine
Journaliste à RFI de 1982 à 2022
dont
Chef du Service Amérique Latine (1997-2010)
Chef du Service des sports (2010-2022)








































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