Une radio utile… et de salubrité publique
par Jean-Baptiste Placca
Cinquante ans ! Que le temps passe vite ! 1975, l’année de naissance de RFI, est aussi celle où j’ai passé le concours d’entrée à l’Ecole supérieure internationale de journalisme de Yaoundé, créée (et alors dirigée) par Hervé Bourges, futur patron de RFI. Ce concours était réputé difficile : près de 2500 candidats pour quelque 35 places dans sept ou huit Etats. La préparation consistait aussi à écouter les journaux à la radio.
Pour moi, RFI était donc, dès l’origine, une radio pratique, de très grande utilité, comme elle n’a cessé de l’être, pour aider les Africains à s’informer sur leur continent ; à comprendre le monde ; à se divertir, à travers le sport, la musique ; à se cultiver, à travers la littérature et les émissions de débat ; à se soigner ou à se protéger contre les maladies ; à protéger la planète…
Sur ces ondes courtes se chevauchaient alors une multitude de stations, aussi improbables que lointaines. Les fréquences changeaient à chaque heure. Il fallait de la patience et beaucoup de détermination pour, une fois sur trois, capter RFI, haut et clair. La Voix de l’Amérique et la BBC dominaient alors cette jungle aux signaux stridents. Car elles étaient cassantes, ces musiques d’identification aux changements de fréquence, qui ne laissaient que quelques petites minutes pour se repositionner entre les mégahertz et autres barbarismes, pour ne pas rater le journal suivant. Sur RFI, la guerre du Liban était alors, jour après jour, le roboratif plat de résistance.

A l’école, loin de nos pays d’origine, RFI était, pour nous autres, futurs journalistes, la source la plus fiable pour se tenir au courant du souffle de l’Afrique. Et, déjà, un précieux outil de travail. A l’Institut français de presse (Université Paris-2, Panthéon-Assas), où nous retrouvions, en troisième année, la promotion du CESTI (Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’information) de Dakar, le semestre était couronné par un stage d’un mois dans un média français. Les camarades en spécialisation radio en venaient pratiquement aux mains pour arracher l’unique place de stage à RFI. Mais en France, paradoxalement, capter RFI était difficile. Et tout simplement impossible, lorsque nous traversions l’Atlantique, pour un dernier semestre à l’Université de Montréal, au Canada.
« Hervé Bourges savait projeter sa grande ambition dans la vie sur tout ce dont il avait la charge. »
Entre-temps, Hervé Bourges avait quitté la direction de notre école pour celle de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille. Je ne le reverrai qu’en 1982, à Lomé, où il était venu dédicacer son ouvrage, Les 50 Afriques, peu après s’être vu confier la direction de RFI (livre co-écrit avec Claude Wauthier, chez Seuil. NDLR). Il me prend à part, pour déplorer que RFI soit sous la tutelle du Président de Radio France, Jean-Noël Jeanneney, qu’il dit aimer bien, par ailleurs. « Je travaille à sortir de cette tutelle », me confie-t-il. Il y parviendra. Hervé Bourges savait projeter sa grande ambition dans la vie sur tout ce dont il avait la charge. Il aurait rendu sexy la Direction des Poids et Mesures, si on la lui avait confiée…
Arrivée à RFI
1983. Retour à Paris. Journaliste à Jeune Afrique à partir de 1984, RFI demeurait un outil de travail, que l’on captait toujours aussi péniblement. En ondes courtes. Je retrouvais souvent les confrères de la radio en reportage, un peu partout sur le continent, mais jamais je ne m’étais encore exprimé sur les antennes de RFI. En mai 1997, au lancement de l’hebdomadaire L’Autre Afrique, Jean-Karim Fall, rédacteur-en-chef, me reçoit dans le créneau qui est, aujourd’hui, celui du Grand invité Afrique.
Dans la foulée, je reçois un appel d’un ancien confrère de Jeune Afrique, Hugo Sada, qui m’annonce que le PDG de RFI souhaitait m’inviter à déjeuner. « J’aime beaucoup le ton pas très institutionnel de votre newsmagazine », me dit, d’emblée, Jean-Paul Cluzel. Peu après, Juan Gomez propose un partenariat entre Appels sur l’actualité et L’Autre Afrique. Sophie Ekoué en fait de même avec son émission, Cahiers Nomades. En décembre 1999, Gilles Schneider m’associe au lancement d’Afrique Presse, une émission de débat RFI-CFI, qu’il présentera quelques années avant de passer le relais à Henri Périlhou, directeur de l’antenne Afrique. Ce dernier, en 2007, me propose de tenir, sur RFI, une chronique hebdomadaire, à l’image de ce qu’il lisait alors sous ma plume dans le quotidien La Croix.
« À RFI, j’ai appris à apprécier le sérieux, la rigueur et l’esprit de concision des journalistes radio »
J’ai longtemps vécu dans la certitude que les journalistes de radio pouvaient être… moins rigoureux que leurs confrères de la presse écrite. Préjugé imbécile, qui tenait sans doute au fait qu’à l’école de journalisme et au début de ma vie professionnelle, j’ai vu trop de confrères débarquer en studio avec des dépêches à peine « bâtonnées », en misant sur leur bagout pour compenser les insuffisances de leurs copies. En les côtoyant à RFI, j’ai appris à apprécier le sérieux, la rigueur et l’esprit de concision des journalistes radio. J’ai même appris à admirer leur capacité à rassembler des informations, à les vérifier des heures, parfois des jours durant, pour réaliser en fin de compte, deux petites minutes dans un journal. Je comprends mieux pourquoi cette radio avait été, pendant plus de vingt ans, un outil de travail, et pas seulement pour moi.

Depuis bientôt dix-huit ans, il m’arrive d’être interpellé par des Africains sur les liens des journalistes de RFI avec le gouvernement français, pour lequel ils seraient… en mission commandée ! Avec ceux qui font valoir des arguments, plutôt que des convictions définitives, je prends parfois le temps d’échanger. Sans trahir quelque secret de fabrication, je leur oppose parfois des exemples d’indépendance, que le journaliste africain que je suis souhaiterait à bien des confrères travaillant dans les médias de service public, en Afrique. Je leur rappelle qu’en démocratie, sa propre crédibilité est bien plus importante, pour le journaliste, que ce qui pourrait plaire ou pas à un dirigeant politique. J’ai parfois cité l’exemple de Nicolas Sarkozy, régulièrement critiqué sur RFI tout au long de son mandat de président de la République.
Lors d’un sommet à huis clos avec ses pairs africains, l’actuel chef de l’Etat français s’était vu demander, par son homologue malien de l’époque, de faire en sorte que RFI soit moins virulent avec lui. Emmanuel Macron avait rétorqué à Ibrahim Boubacar Kéita que s’il avait pu faire de telles injonctions aux journalistes de RFI, il les aurait faites d’abord pour lui-même.
Tout chef d’Etat français se ferait « jeter dehors », s’il lui venait l’idée de s’introduire à RFI pour indiquer aux journalistes comment faire leur travail. L’idée que ces journalistes iraient, chaque matin, recueillir leurs consignes auprès du pouvoir français, est juste une perception inspirée par l’usage que les Africains observent chez leurs propres dirigeants à l’égard des médias de service public. Depuis la première cohabitation, en 1986, les journalistes du service public, en France, ne se laissent intimider par aucun pouvoir politique.
« Chaque jour, quelque part dans le monde, un journaliste de RFI risque sa vie pour apporter une information de première main aux auditeurs du fin fond d’une Afrique oubliée »
C’est surtout l’audience (donc, l’influence) des médias qu’ils critiquent qui gêne certains dirigeants un peu partout sur la planète… Peut-être devraient-ils, d’abord, s’interroger sur ce qu’ils ont, eux-mêmes, oublié de bien faire.
Il peut être offensant, pour des journalistes qui prennent souvent de gros risques pour apporter aux auditeurs une information de première main, d’entendre leur crédibilité remise en question. Surtout à RFI, dont plusieurs confrères ont perdu la vie en quête d’une information crédible, telle Johanne Sutton, tuée en Afghanistan en 2001. Trois confrères de RFI, qui étaient des amis, sont morts, gratuitement assassinés : Jean Hélène, en Côte d’Ivoire ; Ghislaine Dupont et Claude Verlon, au Mali. Chaque jour, d’une manière ou d’une autre, quelque part dans le monde, un journaliste de RFI risque sa vie pour apporter une information de première main aux auditeurs du fin fond d’une Afrique oubliée, dont certains dirigeants trichent sans cesse avec la vérité, avec les faits, avec les souffrances du plus grand nombre.

Un chef d’Etat africain me confiait un jour que lorsqu’il était opposant, Ghislaine Dupont lui avait littéralement sauvé la vie, en relayant, presqu’en direct sur RFI, une tentative d’enlèvement dont il était l’objet de la part du pouvoir qu’il combattait alors. Le journaliste qui critique le politicien au pouvoir est-il moins crédible que celui qui lui sauva la vie dans l’opposition ?
Il n’y a qu’à écouter les auditeurs, au micro de Juan Gomez, pour constater le manichéisme et l’intolérance infusés par les politiciens sur ce continent. Un même pays vous est vanté par le pouvoir et ses partisans comme le paradis terrestre, tandis que l’opposition et ses soutiens vous le dépeignent comme un invivable enfer. Et chaque camp a une fâcheuse tendance à considérer le journaliste qui ose faire la part des choses ou comme un détracteur stérile ou un griot servile.
C’est son sens de la nuance et son aptitude à tendre le micro à chaque sensibilité qui font la crédibilité du journaliste. Dans les pays où les pouvoirs confisquent les médias de service public, au point d’en exclure leurs opposants, RFI est encore souvent la seule radio sur laquelle les citoyens peuvent entendre une note dissonante. Et chaque fois que les opposants s’expriment sur RFI, l’occasion est toujours donnée, ensuite, aux pouvoirs en place de faire entendre leur part de vérité.

Cela place RFI au cœur du jeu démocratique dans nombre de pays et notamment dans notre Afrique francophone. C’est tout cela qui en fait une radio crédible, utile, et même un organe de salubrité publique.
L’auteur

Jean-Baptiste Placca
Né en 1954 au Togo (Porto Seguro)
Chroniqueur à RFI depuis 2007
Diplomé des universités de Yaoundé (Cameroun), de Paris Panthéon-Assas, de Montréal (Canada)
Agence togolaise de presse (1978)
Jeune Afrique (1984)
Directeur de la rédaction de JA Economie (1990)
Création de la revue l’Autre Afrique (1997)
Chroniqueur à La Croix (depuis 2004)








































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