La renaissance de RFI en Pologne
par Anna Rzeczycka-Piekarec
Radio France Internationale vit le jour en 1975 après la dissolution de l’ORTF. Les premières émissions de Paris vers l’étranger commencèrent cependant bien plus tôt, dès 1931. Et c’est également dans les années 1930 que débuta l’histoire de la langue polonaise sur les ondes françaises.
Contrainte de se taire en 1940 après l’invasion nazie, l’une des premières sections linguistiques à retrouver la parole à la Libération a été la polonaise. Diffusées sur ondes courtes, écoutées par les Polonais de Pologne, ces émissions pouvaient également être captées par une importante diaspora, notamment celle des mineurs de fond du nord de la France. D’où l’idée de les rediffuser en ondes moyennes, bien plus pratiques.
Au moment de la réforme de l’ORTF en 1974, la plupart des rédactions en ondes courtes furent supprimées, seules subsistèrent quelques émissions sur les ondes moyennes destinées aux immigrés espagnols, portugais ou polonais, ainsi que pour l’Allemagne, toutes rattachées à la toute neuve RFI.

Sept ans plus tard, la présence d’une toute petite équipe polonaise diffusant chaque jour une demi-heure d’informations, d’interviews, de reportages et de musique des groupes folkloriques du Nord Pas-de-Calais, a joué un rôle important dans le retour de la langue polonaise sur les ondes courtes françaises… à destination cette fois de la Pologne.
Une évolution dont le rôle décisif est revenu, bien malgré lui, au général Jaruzelski, chef du parti communiste polonais, ainsi qu’au président français François Mitterrand. Tout s’est joué en quelques jours…
Le 13 décembre 1981, le général Wojciech Jaruzelski, devenu l’homme fort du régime depuis quelques mois, a décrété l’état de siège en Pologne. Voulant en finir avec Solidarność (Solidarité), premier syndicat libre des pays de l’Est fondé dix-huit mois plus tôt, il a « mis le paquet ». Des chars et des véhicules blindés ont envahi les rues des villes polonaises, Solidarność a été dissous, des milliers de syndicalistes et d’opposants au régime, dont Lech Walesa, ont été arrêtés et emprisonnés. La junte militaro-communiste a fermé les frontières et instauré le couvre-feu. Une chape de plomb est tombée sur tout le pays…
Le 14 décembre, Leszek Talko, alors responsable de la section polonaise à RFI, a fait savoir à Michèle Cotta, depuis peu directrice générale de Radio France, dont RFI faisait partie, que son équipe était prête à reprendre immédiatement les émissions à destination de la Pologne, coupée du monde par la censure.

Le 16 décembre, en Conseil des ministres, le Président François Mitterrand a donné son accord en déclarant : « Bien sûr qu’il faut émettre vers la Pologne ». Des propos ratifiés quelques jours plus tard : « La France fera ce qu’il faut pour que les Polonais ne perdent pas l’espoir ». L’instauration de la loi martiale en Pologne avait en effet profondément bouleversé l’opinion française.
Le 17 décembre 1981, à 7h45 du matin, la première émission de RFI en polonais à destination de la Pologne était présentée par Casimir Piekarec, qui devait bientôt prendre la direction de la rédaction polonaise jusqu’en 2005. Quatre jours seulement après l’offensive du général Jaruzelski !
Le rétablissement de ces émissions a été sans doute la décision la plus rapide prise depuis longtemps par une administration française plutôt habituée à peser attentivement et longuement le pour et le contre…
Une rédaction pauvre mais efficace
Les moyens alloués à la section polonaise de RFI ont d’abord été purement symboliques : trois émissions de dix minutes par jour sur deux à quatre fréquences, sans budget pour du personnel supplémentaire ou des collaborateurs occasionnels. Plus tard elles ont été progressivement augmentées jusqu’à deux heures et quart.

En décembre 1981, comparé aux efforts déployés par les radios à Munich, Washington et Londres, ce n’était pas grand-chose. Mais ce temps d’antenne très limité a eu le mérite d’imposer aux journalistes davantage de concision et de rigueur. Ils ont dû apprendre à être autonomes et rapides. Et l’humour leur permettait de garder le moral face à des événements dramatiques et à la tentation du désespoir. « Cette radio était lumineuse et ressourçante pour nous », se souvenait quelques années plus tard une auditrice polonaise auprès du journal « Le Monde ».
L’équipe était composée de polonophones qui, pour des raisons diverses, se trouvaient alors en France, après des études universitaires et des expériences professionnelles variées. Ils avaient tous conscience d’être, indépendamment de leur nationalité, des journalistes français, et n’avaient pour règle que la fidélité à certains principes démocratiques élémentaires.
La direction n’avait donc pas besoin de les instruire sur ce qu’ils pouvaient dire ou non, et n’a d’ailleurs même pas songé à le faire, comme l’a rappelé Casimir Piekarec lors de la conférence Les radios de la liberté en 2011. « Il n’y avait aucune supervision, aucune recommandation, aucun contrôle. Il n’y avait pas non plus de ligne politique dictée par un supérieur hiérarchique ».
Le succès, le changement, puis la fin
Dans un premier temps, la rédaction émettait en aveugle, sans écho, tous les moyens de communication avec leur pays étant interrompus. Les premières réactions sont arrivées bien plus tard. Un appel téléphonique nous a particulièrement marqué, se souvenait encore Casimir Piekarec. Futur ministre des Affaires étrangères de Pologne après la chute du communisme, Wladyslaw Bartoszewski nous a appelés depuis Vienne à sa sortie de prison, pour dire que dans le camp où il avait été interné, les prisonniers rédigeaient leurs bulletins d’informations en écoutant RFI en cachette !
Paradoxalement, les Polonais ont découvert l’existence des émissions de RFI grâce aux médias du régime qui ne se privaient pas de dénoncer la décision française de diffuser à nouveau en polonais. Les autorités du pays convoquaient régulièrement l’ambassadeur de France à Varsovie pour lui faire part de leur mécontentement devant ce qu’elles qualifiaient de « propagande subversive ». En réponse à ces protestations, la diplomatie française, imperturbable, évoquait la liberté de la presse et de la parole en vigueur en France, insistant sur l’indépendance de RFI !
En 1982, l’Union des journalistes polonais, clandestine et hors-la-loi à l’époque, a décerné à RFI le prix des « meilleures émissions en langue polonaise diffusées depuis l’étranger ».

En mai 1990, six mois après la chute du mur de Berlin, une équipe de RFI s’est rendue à Varsovie pour y diffuser pendant une semaine en FM. Dans un studio installé rue Nowy Swiat (Nouveau monde), les heureux élus de la rédaction polonaise, pour lesquels c’était souvent un premier séjour en Pologne après des années d’exil, ont reçu de nombreux témoignages de sympathie et de reconnaissance. Ils ont découvert avec un certain étonnement que parmi les auditeurs venus les saluer, il y avait plusieurs représentants du premier gouvernement post-communiste, anciens « résidents » des lieux de détention pendant la loi martiale… mais aussi de ceux qui les y avaient placés !
Avec la fin du communisme en Europe de l’Est, le caractère des émissions polonaises a évidemment changé. Après l’abolition de la censure, l’éclosion des médias indépendants et la transformation démocratique du pays, il fallait accorder plus d’importance aux événements internationaux vus depuis Paris, suivre la Pologne sur sa route vers l’accession à l’OTAN et à l’Union Européenne et mettre l’accent sur divers aspects de la vie en France – politiques, culturels et économiques. Tout est devenu plus « normal » dans un pays libéré.
Cinq ans après l’accès de la Pologne à l’Union Européenne, en décembre 2009, la rédaction polonaise de RFI a cessé d’exister.
Conserver les archives
« Les stations de radio, telles que Radio Free Europe, RFI, la BBC et Voice of America, qui diffusaient des programmes à destination des auditeurs derrière le rideau de fer, ont été le moyen le plus important et le plus efficace que l’Occident ait inventé pour lutter contre le communisme. Du point de vue de l’histoire de la Pologne, cela était aussi important que les soulèvements ouvriers ou le pontificat de Jean-Paul II »
Antoni Dudek, historien, professeur de l’Université Cardinal Stefan Wyszynski de Varsovie, a prononcé ces paroles lors d’une interview accordée à la presse polonaise à l’occasion de la conférence Les radios de la liberté – 20 ans plus tard, organisée à Varsovie par la Radio polonaise le 13 janvier 2011.
Cette conférence a été l’occasion de lancer sur Internet un service spécial contenant près de 20 000 enregistrements issus des archives de Radio Free Europe et des sections polonaises de la BBC et de RFI. Conçu par ses créateurs comme une illustration sonore de l’histoire récente de la Pologne, et comme une sorte d’hommage à ceux qui, pendant les décennies de la guerre froide, ont apporté une parole libre à la Pologne malgré la propagande et l’endoctrinement, ce service est toujours opérationnel aujourd’hui.
Pour ce qui est de RFI, il y a donc les archives sonores dans lesquelles la Radio polonaise puise toujours. Et la dernière version de son site est toujours disponible sur Internet: http://www1.rfi.fr/actupl/pages/001/accueil.asp

Cet article est largement inspiré des notes laissées par Casimir Piekarec (1940-2024) et Leszek Talko (1916-2003), qui avaient rejoint la section polonaise de l’ORTF en 1969. Après l’éclatement de l’ORTF en 1975, Talko était devenu rédacteur en chef des émissions en polonais de RFI destinées à la communauté polonaise établie dans le Nord de la France. Le 17 décembre 1981, après le coup d’état militaire en Pologne, la petite équipe qu’il dirigeait s’était vu confier la mission de réactiver les émissions polonaises en ondes courtes. Leszek Talko y travaillera jusqu’à son départ à la retraite en 1992… sous la direction de Piekarec, qui exercera cette responsabilité jusqu’à sa retraite en 2005.
L’auteure

Anna Piekarec née Rzeczycka
Née en 1952 en Pologne (Pultusk)
Diplômée de l’université de Varsovie et de Paris III – Sorbonne-Nouvelle
Assistante puis journaliste à la rédaction polonaise de 1982 à 2009 (date de sa fermeture)
Journaliste à la rédaction en français, notamment au Service France-Société, de 2010 à 2020








































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