Mécano des ondes
par Carlos Acciari
Je suis arrivé en France en 1982, fuyant la dictature brésilienne. Mes premières années furent difficiles. Pour essayer de gagner ma vie, je faisais de la musique, en France et partout où c’était possible. C’est grâce à cela que, très vite, j’ai fait la connaissance de Francis Ayrault, grand amateur de jazz et mécène des musiciens en galère.
Et c’est grâce à lui que j’ai vu un émetteur FM pour la première fois, en 1996. J’étais à Brazzaville pour une tournée avec le trio Soledad. Francis, avait été recruté par RFI et chargé de l’installation des émetteurs en Afrique puis en Amérique latine. Bien que je ne sois pas de la maison, il m’avait donné le contact de Zaou Mouanda, ingénieur formé en URSS qui m’amena à 14 kilomètres de Brazzaville où se trouvait le centre technique de la radio nationale congolaise dont il était le directeur. C’est dans l’enceinte de ce centre que se trouvait l’émetteur de RFI.

Après cette visite, je devais rapidement découvrir que, pour que ces émetteurs FM puissent d’abord capter le signal radio transmis par satellite, il fallait un récepteur que RFI expédiait à ses radios partenaires en Afrique comme en Amérique latine accompagné d’un mode d’emploi que Francis Ayrault me chargea de traduire de l’anglais au français, à l’espagnol et au portugais. Ensuite, j’appelais les techniciens des radios concernées en Amérique latine. Je passais des heures au téléphone, afin de les aider à comprendre comment orienter l’antenne parabolique et régler le récepteur.
Un développement exponentiel
Il s’agissait de diffuser en temps réel, sept jours sur sept, 24 heures sur 24, grâce aux satellites, un signal audio en stéréo, avec de l’information et de la musique, le tout destiné à des radios situées au fin fond de l’Amérique Latine. C’était une première, une révolution technologique inimaginable à l’époque… devenue obsolète grâce à internet.
Tout ça ne se faisait pas sans résistance en interne, certains journalistes et syndicats, renâclant devant l’abandon des émissions en Ondes Courtes qui avaient marqué les débuts de la radio, au profit de la FM.
En dépit des contestations, cette révolution a permis la survie des rédactions en espagnol vers l’Amérique latine et en brésilien. Le succès des contenus, ainsi que la musique proposée par RFI, à l’époque totalement nouvelle aux oreilles latino-américaines, a favorisé le développement exponentiel des partenariats.

C’est dans ce cadre-là qu’un accord avait été signé entre RFI, l’Institut Mexicain de la Radio et le Réseau des radios publiques d’état Mexicaines. Début 2001, on m’avait invité à parler de RFI en général et de RFI en espagnol en particulier, à l’occasion d’une réunion commune de ces deux réseaux mexicains à Oaxaca dans le sud du pays. C’était une réunion d’information pour les cadres et les journalistes. Il ne devait pas y avoir de contenu technique et je m’étais préparé en conséquence avec moult tableaux Power Point, graphiques et rapports.
Système D à Oaxaca
Mais à mon arrivée à l’aéroport de Oaxaca, j’apprends que le récepteur satellitaire n’a pu être installé. Les techniciens mexicains comptent sur moi pour le faire. J’étais fatigué par le voyage mais surtout je n’avais aucune idée des procédures à suivre pour connecter l’émetteur au satellite. Aussi demandais-je à pouvoir me reposer à l’hôtel. Surtout, je comptais appeler Paris au cours de la nuit pour que les collègues m’expliquent comment faire.
Peine perdue. Une demi-heure après on frappe à ma porte.
« Ingeniero, il faut y aller. Ils veulent connecter l’antenne ce soir pour l’inauguration du colloque demain à 10 heures ! »
Arrivé sur la terrasse de l’Université de Oaxaca où fonctionnait la Radio d’État, je tombe sur une antenne parabolique de 5 mètres de diamètre, datant de la guerre froide. A son pied était posée une échelle, et une dizaine de personnes, professeurs et ingénieurs bardés d’oscilloscopes, écrans, récepteurs, postes radios cherchaient à résoudre le problème.
Ils comptaient sur moi mais la vérité m’oblige à dire que je n’y connaissais absolument rien. J’étais paralysé. J’essayais de me souvenir du manuel que j’avais traduit et récité par téléphone des dizaines de fois. Par chance, ayant passé mon enfance dans une ferme au Brésil, où mon père et mes frères passaient leur temps à démonter tracteurs, engins, pompes à eau, ou construire des bâtiments de toutes sortes, j’avais acquis une certaine familiarité avec les outils, câbles, soudures et graisses.
J’ai donc posé un tas de questions. Ils avaient oublié d’installer une petite pièce en bakélite, un isolateur. Au bout de quelques manipulations, le signal RFI résonnait impeccablement.
« Je prêchais pour la multiplication des FM. C’était une sorte de religion. »
S’ouvrit alors à moi une période qui a duré plus de dix années, au cours de laquelle j’ai sillonné toute l’Amérique Latine du nord du Mexique au sud de l’Argentine en passant par les Caraïbes et bien sûr le Brésil, mon pays natal.
Rencontres capitales et ondes courtes
Jusqu’alors, je prêchais pour la multiplication des FM. C’était mon métier et j’y croyais. C’était une sorte de religion. Mais une rencontre devait changer définitivement mon approche radiophonique et ma perception de l’importance de la radio.
Cette rencontre eut lieu au Brésil. A la fin 2002, RFI y avait organisé une grande réunion avec les radios partenaires brésiliennes. On avait évidemment parlé FM. C’est alors que Carlos Zarur, journaliste aguerri et président de Radiobras, qui était à l’époque le grand réseau de radios et télévisions publiques brésiliennes, s’approcha de moi : “c’est bien beau les satellites et les FM mais nous au Brésil, nous n’abandonnerons jamais les Ondes Courtes ni les Ondes Moyennes. C’est une question de service public et de souveraineté nationale. »

Zarur m’expliqua toute l’importance des Ondes Courtes et des Ondes Moyennes pour les populations isolées dans les immenses territoires d’Amazonie ou d’ailleurs. Radiobras faisait office de courrier pour prévenir les familles de l’arrivée de médicaments par le prochain bateau, l’arrivée d’un proche, une naissance, un décès. Encore aujourd’hui, on lit des lettres adressées à des proches sur les antennes de EBC, Entreprise brésilienne de communication.
Rien que la radio !
Depuis ce jour-là, je n’ai cessé de me battre pour la survie des Ondes Courtes et Moyennes à RFI. Pourtant, à mon grand regret, RFI a utilisé le budget des Ondes Courtes comme variable d’ajustement financière, en coupant des centaines de créneaux horaires, allant même jusqu’à renoncer au site de Cap Greco à Chypre, le jour même du départ des Américains d’Afghanistan en 2021. Or Cap Greco est un des plus beaux sites en Ondes Moyennes qui soit, capable de couvrir Gaza, la Syrie, le Liban, l’Iran jusqu’en Afghanistan. Là encore les financiers et les spécialistes des nouvelles technologies ont eu gain de cause au détriment de la souveraineté technologique et radiophonique française.
Finalement, la radio m’a arraché à la musique. Mon ami d’enfance Paulo, devenu un éminent psychiatre au Brésil, m’a dit un jour : « Tu te rappelles quand, enfant, j’allais passer des vacances à la ferme. Il y avait chez toi un grand poste de radio flambant neuf auquel ton père tenait plus qu’à tout. Et la nuit, nous écoutions dans toute la maison ces voix uniques venant d’ailleurs… C’est normal que tu aimes la radio ! »
La radio, la radio, rien que la radio !
L’auteur

Carlos Acciari
Né en 1959 au Brésil (Sao Paulo)
Technicien en insémination artificielle
Technicien au service de diffusion de RFI depuis 1999
Première mission sur le terrain en 2001
Par ailleurs musicien formé au Conservatoire régional d’Evry et dans des écoles de jazz








































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