La préhistoire de RFI, de 1931 à 1975
par Jacqueline Papet
Allez vous promener, aux abords du bois de Vincennes, non loin du musée de l’immigration – anciennement musée permanent des Colonies – et prenez le temps de lire sur l’herbe une plaque qui a trait à notre préhistoire.
Les mots, sans doute récents, ne cachent rien de la réalité de cette exposition coloniale ouverte le 6 mai 1931, qui accueillit pendant six mois huit millions de visiteurs venus faire « un tour du monde en un jour » et dévisager les centaines d’ « indigènes » exhibés pour l’occasion. Ainsi l’aventure coloniale était elle légitimée. D’ailleurs, ce jour-là, un câble de 40 km tiré entre Pontoise, où ont été installés les premiers émetteurs ondes courtes, et des studios aménagés au sein même de l’exposition, permit au président Doumer de s’exclamer : « Ici le Poste colonial français ».
Si RFI a 50 ans, son ancêtre en a… 94 ! Avant de devenir Radio France Internationale, la radio extérieure de la France changera plusieurs fois de nom et saura s’adapter aux grands évènements de l’histoire du 20ème siècle : la seconde guerre mondiale, la lutte des peuples colonisés pour leur indépendance, la guerre froide, la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’URSS.
Les ondes courtes, instrument de la diplomatie
Instrument de communication, le Poste colonial s’est très vite transformé en instrument diplomatique. La France n’est pas seule à avoir compris l’importance des Ondes Courtes. Dès 1930 l’Union Soviétique et l’Italie lancent leurs premières émissions extérieures. Début 1931, Radio Vatican fait de même, suivi en 1932 par l’Espagne et la Grande Bretagne. A peine arrivé au pouvoir en 1933, Hitler inonde le monde de sa propagande raciste. En 1938, à la veille de la seconde guerre mondiale le Poste colonial français devenu Paris ondes courtes puis Paris Mondial émet en vingt langues.

Au fil des ans, la radio extérieure émettra jusqu’à une trentaine de langues dont le danois, le finnois, le suédois, le japonais, le macédonien, mais aussi l’espéranto, le yiddish, l’arabe et bien sûr l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien, le portugais et d’autres comme le grec et le turc. Une véritable tour de Babel ! Malheureusement, aucun de ces programmes en langue étrangère n’a été enregistré et leur trace est perdue… à une exception près. Mais ceci est une autre histoire qui vous sera racontée plus tard.
La radio est devenu un enjeu majeur. Pétain y annonce l’armistice. Et c’est sur la BBC que lui répond le général de Gaulle en refusant la capitulation. Dès lors, pour la France Libre les ondes sont un instrument de résistance, tandis que le gouvernement de Vichy utilise Paris Mondial, devenu Radio Paris une fois passé sous gouvernance allemande, afin de tenter de rallier l’empire.
Le 6 juin 1944 les Alliés débarquent en Normandie… Dans leur retraite, les Allemands prennent le temps de détruire les émetteurs d’Allouis installés dans le département du Cher. Le 1er janvier 1945 ils pourront fonctionner de nouveau. Charles de Gaulle, qui a compris l’importance de l’outil radiophonique, demande à l’homme de Radio Brazzaville Philippe Desjardins, gaulliste de la première heure, de créer le service des Émissions vers l’Étranger (EVE). Tous les espoirs sont permis fin 1945, trois cents personnes travaillent dans le secteur mais, à la surprise générale, le général de Gaulle quitte son poste de chef du gouvernement provisoire. Et comme l’heure est aux restrictions en cette année 1946, la « Commission de la hache » ne lésine pas pour saborder les EVE.
L’actualité se charge de rappeler l’utilité de la radio. En 1948 la crise de Berlin divise le monde entre Soviétiques d’un côté, Américains, Français et Britanniques de l’autre. Les Américains ont de gros moyens pour émettre vers l’URSS et les pays qui sont sous sa domination tandis que la France fait ce qu’elle peut avec des ressources beaucoup plus limitées, ciblant en priorité les pays de l’Europe centrale.
La radio enjeu crucial dans les guerres de décolonisation
Parallèlement et conformément à la conférence de Brazzaville de 1944 une branche de la radio extérieure se consacre exclusivement aux pays africains appelés à devenir indépendants. La SORAFOM – Société de Radiodiffusion de la France d’Outremer – est mise en place par un homme hors du commun, Pierre Schaeffer – plus connu pour avoir inventé la musique concrète – qui a compris la nécessité de préparer la décolonisation en formant les cadres africains qui seront appelés à diriger leurs propres radios. Une fois les indépendances acquises, la SORAFOM laissera place en 1962 à l’OCORA, l’Office de Coopération Radiophonique.
Au Maghreb, la situation est différente. On sait que la radio a contribué à forger des mouvements nationalistes dans les trois pays concernés. Mais si le Maroc et la Tunisie deviennent des pays souverains en 1956, la guerre d’Algérie va durer, avec comme premier effet le retour de de Gaulle au pouvoir. Le périmètre radiophonique s’élargit. A partir de 1958, la Voix de l’Algérie combattante diffuse depuis le Caire, Tunis, Rabat, Damas, Bagdad et Tripoli. A Paris et à Alger on renforce les émissions en français, arabe et kabyle. Les accords d’Évian en mars 1962 mettent fin à cette douloureuse guerre de décolonisation entrainant la diminution progressive des ELAB (Emissions en Langues Arabe et Berbère) qui disparaîtront en 1965.
Durant ces années soixante, la France manque d’ambition pour sa radio extérieure. Elle n’est plus qu’à la 17ème place du classement des radios internationales. Si l’on s’est mis à parler yiddish, en 1958, on met la pédale douce vers l’Europe de l’Est car la période est à la « détente, l’entente et la coopération » au lendemain du voyage à Moscou du général de Gaulle. En 1963 on supprime plusieurs langues, notamment le vietnamien, et on réduit des programmes vers l’Espagne franquiste, pourtant très écoutés.
Le ministère des Affaires étrangères rechigne de plus en plus à financer la radio extérieure de la France, affirmant sans preuve que les ondes courtes ne sont pas suffisamment audibles pour être écoutées. Pour le savoir, en 1964 un collaborateur des Émissions vers l’Étranger (EVE) propose d’organiser un gigantesque sondage appelé « rose des vents ». Près de 45 000 lettres arrivent à la surprise générale confirmant que l’auditoire existe. C’est plus qu’espéré. Malheureusement aucun plan de relance ne vient donner de l’espoir aux salariés des émissions vers l’étranger qui ont rejoint la Maison de la Radio au sein de l’ORTF.
Incertitudes des lendemains
Mai 68 vient secouer la France et bouleverser les EVE qui vont absorber en 1969 l’OCORA dans une Direction des Affaires Extérieures et de la Coopération (DAEC). C’est un ensemble un peu fourre-tout avec différentes tutelles : le Quai d’Orsay pour les émissions en direct, le ministère de la Coopération pour les activités du même nom, le ministère du Travail pour les émissions que l’on a lancées à destination des travailleurs immigrés.
Le dernier chapitre est douloureux : en 1974 le président Valéry Giscard d’Estaing dissout l’ORTF qui laisse place à sept sociétés pour couvrir les activités de la radio, de la télévision, de la production, de la diffusion et des archives. Les émissions vers
l’étranger sont laminées. Quatorze des dix-sept langues disparaissent. Les journalistes – ceux qui avaient échappé à la purge de 1968 – sont pour deux tiers d’entre eux licenciés, soit 100 sur 157. Les raisons de ce désastre sont soi disant géopolitiques (les accords d’Helsinki seront signés en 1975) mais plus prosaïquement elles sont une fois encore financières. Fini de parler au monde entier !
On ne garde que le pré-carré africain vers lequel on déploie tous les émetteurs. La DAEC disparaît dans l’ensemble Radio France. Radio France internationale, filiale de celle-ci, commence à émettre le 20 janvier 1975 comme Guy Riboreau l’a raconté dans l’épisode précédent. Cependant RFI va très vite redevenir une radio mondiale émettant vers plusieurs continents et ce sera l’objet des prochains témoignages.
L’auteure

Jacqueline Papet
Née en 1945 à Neuilly-sur-Seine
Journaliste à l’ORTF de 1968 à 1975
Journaliste à RFI de 1975 à 2007 dont
Présentatrice journaux/magazines
SDR Monde et Langues
Rédactrice en chef (1995-2007)
















































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